Suite au résumé de la première partie, je vous propose de découvrir la suite du colloque. Une troisième conférence réunissait autour de M. Stanislas de Maupéou, M. Daniel Ventre chercheur au CNRS spécialisé sur les questions de conflictualité dans le cyberespace et M. Daviot, travaillant pour l'ANSSI.
Cette première table ronde de l'après-midi a été marqué par des échanges assez vifs et en dehors du domaine juridique. M. Ventre a pu ainsi faire un panorama des cyberattaques. Rappelant que le concept de "cyberguerre" est tout sauf ancré dans une réalité claire, il en a montré la genèse que l'on doit notamment à des penseurs/stratèges américains de la RAND Corporation.
Il a également exposé quelques considérations sur la nature du cyberespace, profondément transverse, empruntant parfois quelques caractéristiques à ce milieu, du fait également de son ancrage physique.
Incitant à dépasser le fantasme, il a également proposé une vision de l'action de l'État dans le cyberespace en 4 types d'actions :
- définition d'une attitude politique : victimisation, posture agressive, coopération...
- interprétation du droit afin d'inscrire leurs actions dans un contexte juridique incontestable que ce soit en droit interne ou droit international
- arsenalisation du cyber : création "d'armes", créations d'unités, mise en place de capacités avec les doctrines afférentes
- éventuellement coopération...
Sur les définitions des acteurs et sur les différentes approches de la nature du cyberespace, je vous conseille le dernier ouvrage de M. Ventre qui propose des synthèses intéressantes, parfois étonnantes de tout cela.
De son côté, M. Daviot a rappelé que la France disposait d'une stratégie dédiée au cyberespace qui datait du Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale de 2008 mais comprenait également une partie non diffusée.
Il a également évoqué un vrai besoin de revenir aux sources, notamment technique, ce qui permet souvent de comprendre pourquoi il n'est pas possible de "plaquer" certains concepts comme la dissuasion.
Par ailleurs, il a rappelé que la dissuasion nucléaire est née également d'une vraie maitrise de l'arme atomique, ce qui ne parait pas encore être le cas en matière "cyber"...Une affaire à suivre donc !
La dernière table-ronde était constituée de 3 personnes : Me Itéanu, éminent juriste spécialisé dans les questions de droits des technologies de l'information et impliqué depuis longtemps dans la "gouvernance internet", et deux professionnels de la diplomatie M. Tecourt et M. Clouvel.
Me Itéanu s'est intéressé en particulier aux questions de liberté de communication sur Internet et aux phénomènes complexes de la Gouvernance. A propos de la communication sur Internet, les enjeux sont particulièrement actuels avec les mouvements de protestation intenses que connaissent certains pays et le rôle que peut y jouer Internet. Il cite également un rapport intéressant de l'ONU, du 6 Juin 2011, traitant de la "cyberpaix" et demandant à ce que l'accès Internet soit assimilé à une liberté fondamentale. Cela illustre donc les autres pans du droit qui peut interagir avec les conflits concernant le cyberespace.
On doit ensuite à M. Clouvel quelques illustrations très fortes du caractère adaptable du droit international :
- La clause de Martens qui pose un principe fondamental et assez extraordinaire qui veut qu'en matière de droit de la guerre et pour tout ce qui n'a pas été découvert à l'heure de la rédaction, l'on doive appliquer la protection du Droit International Humanitaire.
- Ce droit ne serait modifiable (on parle bien des principes), selon lui, que sous 3 conditions fortes : un vide juridique avéré, l'absence de normes équivalents et le cas d'un problème profond d'application du droit à certaines personnes/groupuscules notamment en cas de conflits armés non internationaux.
En bref et pour rendre hommage à la concision de l'exposé de M. Clouvel, on retiendra deux éléments clés :
- le droit international public, le droit de la guerre possède les atouts et les principes permettant de répondre aux cyberconflits.
- il existe bien évidemment un espace d'incertitude dû à l'incompréhension partielle de ce domaine (cf. les propos de M. Daviot) qui nécessite une coopération entre techniciens et juristes. Cet espace d'adaptation n'a pas pour autant vocation à créer un "traité" sur la cyberguerre, au contraire, cela pourrait être nocif : on pourrait y perdre les avantages comme l'ouverture, l'innovation du fait d'une trop importante surveillance/militarisation du cyberespace.
Suite à cela, l'exposé de M. Tecourt a eu la difficile tâche d'être le dernier présenté. Son propos s'inscrit dans la continuité de celui de M. Clouvel en proposant d'examiner justement cet espace d'évolution des outils juridiques dédiés au cyberespace.
Son propos est ainsi de montrer pourquoi un traité sur la cyberguerre serait sans doute impossible et contre-productif, pourquoi un traité sur le cyberespace ne serait pas atteignable et enfin, que la production d'un "code de conduite" pourrait être la voie suivie.
Ainsi, ils rappellent toutes les menées internationales autour de ces questions qui impactent considérablement la possibilité de trouver un accord globale :
=> Autour de l'ICANN : on voudrait plus d'international mais jamais les USA ne le voudront
=> Le faible taux de ratification de la convention sur la cybercriminalité serait imputable à la Russie très peu satisfait d'un article sur la libre circulation des données qu'ils assimilent à de l'espionnage légalisé. En conséquence, la Russie aurait mobilisé les pays en développement contre ce texte.
=> la Chine inclut le contrôle de l'information dans la "sécurité de l'information". Le dilemme "liberté-sécurité" n'est pas un problème pour eux, cela reste délicat pour réguler en commun.
=> Rappelons aussi les multiples actions russes en matière de protection de l'information menées à l'ONU. Par ailleurs, l'actuel Secrétaire Général de l'IUT dont on connait l'appétit pour la Gouvernance Internet se serait, quelque part, fait un peu le porte-parole du pays...
=> Anecdote : les Russes n'utiliseraient jamais le terme "cyber" soi-disant à cause de l'absence du terme dans leur langue, ce qui est partiellement vrai car ils peuvent, dans un cadre privé, le faire. Ce point serait symptomatique d'une certaine vision du Net que le pays chercherait à imposer...
Tous ces éléments de divergence permettent donc à l'orateur de conclure sur l'impossibilité, à court terme au moins, d'un traité portant sur ces sujets. Pour autant, il n'est pas impossible, et cela semble tant nécessaire qu'une idée se propageant, qu'un code de conduite puisse apporter. L'objectif serait la rédaction et l'acceptation internationale de contraintes de comportements politiques par les États afin d'éviter des dérapages...
Pour résumer ce colloque, et malgré des divergences, je pourrai proposer 4 points :
=> N'oublions jamais la technique et les experts techniques. Pour éviter le fantasme, il faut coopérer entre les domaines...
=> le droit des conflits armés n'est pas toujours le bon référentiel car il suppose pas mal d'hypothèses sur lesquelles il plane toujours trop de doute : situation d'attaque armée etc. etc.
=> le droits international, de manière plus générale, semble pouvoir répondre de manière positive, au moins dans les principes, aux problématiques spécifiques posées par les conflits dans le cyberespace.
=> il subsiste un espace d'ajustement qui pourrait, au niveau international, prendre la forme d'un code de conduite.
En guise de conclusion, on retiendra la phrase de Prévert proposée par le Professeur DUBUISSON, concluant le colloque : " La nouveauté, c'est vieux comme le monde"...et nous sommes toujours aussi démunis devant.
Merci infiniment Camarade pour ce résumé en deux volets sur le droit et la cyberguerre. Très instructif. Dommage que je n'ai pas pu participer au colloque en tant que tel...
RépondreSupprimerContent que tu apprécies !
RépondreSupprimerMerci de le partager !
Je le mentionnerais ce jeudi soir dans mon blog.
RépondreSupprimerJe me joins à C.B pour vous remercier de ce compte-rendu, très apprécié quand on ne pouvait pas être sur place. Merci, donc!
RépondreSupprimerMerci à vous..
RépondreSupprimerSi vous avez des questions, n'hésitez pas !
Le colloque était intéressant mais je ressens encore un vrai besoin à travailler ensemble (tech+juristes) pour avancer..
Super. Car mon thème de mémoire rentre dans le cadre du colloque : l'application du principe de distinction dans les conflits armés. si vous avez des articles ou livres en format PDF, prière me les fait parvenir: christian.zan@outlook.com
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