Le 15 Mars 2012, le Conseil de l'Europe a publié une stratégie relative à la Gouvernance de l'Internet. Ce document fait date car il établit une prise de position politique ferme de l'entité et témoigne d'un intérêt réel pour la matière.
Cet intérêt est bien évidemment dans l'air du temps, que ce soit en raison des problématiques de criminalité, militaires ou encore stratégiques. Reste à déterminer si la manière dont l'entité s'empare du sujet correspond à une de ces logiques spécifiques.
Une bonne synthèse disponible en ligne permet effectivement de résumer ce document en quelques points. Tout d'abord, il est construit autour deux aspects principaux : la protection des droits et libertés des personnes et la lutte contre la cybercriminalité.
Aspect également remarquable, le Conseil de l'Europe ne se positionne pas ouvertement pour une révolution du système de gouvernance et donne au contraire une certaine légitimité à l'ICANN avec qui il entend maintenir des relations étroites.
Plongeons nous un peu plus dans le texte ! Quelques éléments sont ainsi passionnants.
Par exemple, le Conseil formule un certain éloge de la Convention de Budapest qu'il définit comme une référence à respecter et à partager entre états et entités afin de garantir une plus grande efficacité dans la lutte contre la cybercriminalité.
D'autres références sont intéressantes comme celles sur les données personnelles qui est au coeur d'un intense lobbying mais également du modèle de gratuité qui nous est proposée par des services comme Google.
On trouve également un engagement fort en faveur de la neutralité du réseau, sujet également très sensible. Décelable dés le début lorsque le texte parle d'un Internet "universel, ouvert et novateur", on le trouve ensuite clairement formulé à la ligne d'action 8 sur les 40 que compte la stratégie.
A cet égard, on peut interpréter le choix du Conseil de l'Europe : la neutralité du réseau serait un concept dérivé des droits de l'homme auquel il faudrait donner un contenu plus clair et surtout partagé afin d'en assurer le respect par l'ensemble des acteurs.
Proposant donc 40 lignes d'actions jusqu'en 2015, la tonalité de ce document est hautement politique et humaniste. La promotion de l'innovation et du développement ainsi que la protection des enfants et adolescents sont également un axe clé de cette stratégie.
Ainsi, la ligne d'action 8-c fonde, une fois encore sur les droits de l'homme, le principe d'une action normative inter-gouvernementale ayant pour objectif de définir les principes et mécanismes propres à éviter toute coupure ou dysfonctionnement de l'Internet. Une vision cynique pourrait voir en cela des modalités de préservation du net dans les "révolutions" comme celle du "printemps arabe" mais aussi une forme accrue de participation des gouvernements dans les décisions liées à la résilience du net, pour le moment cantonnées aux seuls pouvoirs des USA.
Pour autant, le document, notamment au point 12, se donne une vision claire des problématiques de criminalité sur Internet en insistant sur les liens avec le financement des activités criminelles ou terroristes diverses. A cet égard, la stratégie propose de manière assez remarquable des liens avec différents textes pré-existant comme la Convention sur la prévention du Terrorisme ainsi que l'établissement des relations, dans ce cadre spécifique, avec des institutions comme l'OSCE.
Enfin, de manière remarquable, le Conseil de l'Europe construit une forme de réseau des entités de gouvernance susceptible d'avoir une action politique dans les sujets qui sont au coeur de cette stratégique : Droits de l'homme et Protection, Lutte contre la criminalité et Développement économique et culturel.
Ne reniant pas, pour d'évidentes raisons diplomatiques, une approche très pragmatique, cette stratégie place le Conseil de l'Europe comme un acteur pré-éminent des entités de la gouvernance. Ainsi, la liste des entités identifiées comme partenaires pour la conduite de la stratégie et de la gouvernance comporte :
- l’Union européenne ; l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ; l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
- les Nations Unies, et en particulier l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’Alliance des civilisations, le Département des affaires économiques et sociales de l’ONU (UNDAES), l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime et l’Union internationale des télécommunications (UIT)
- les organisations, réseaux et initiatives oeuvrant contre la cybercriminalité et pour la cybersécurité comme Europol, Interpol, la Virtual Global Task Force, le Commonwealth, etc.
- la Banque mondiale
- les réseaux de gouvernance de l’Internet, et en particulier les groupes impliqués dans le Dialogue européen sur la gouvernance de l’Internet (EuroDIG), le Forum sur la gouvernance de l’Internet (FGI), les initiatives nationales du FGI et la Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet (ICANN)
- les acteurs du secteur privé (notamment les fournisseurs de services et de technologies Internet)
- les réseaux professionnels, y compris les organes du secteur privé comme l’Association européenne des fournisseurs d'accès à l'Internet, la Chambre de commerce internationale et Business for Social Responsibility ;- les réseaux de la société civile ;
En gras, vous sont indiqués certaines des entités les plus connues mais parfois également les plus contestées.
Ce faisant, le Conseil de l'Europe dresse un panorama des acteurs pertinents de la Gouvernance et les reconnaissant, leur donne une certaine forme de légitimité. Si ce paysage semble intéressant, on pourrait craindre une dispersion des efforts auprès d'acteurs aux pouvoirs décisionnaires limités ou aux agendas contestables. Il demeure néanmoins particulièrement intéressant que le Conseil de l'Europe se penche enfin sur cette question essentielle.
Source :
Merci pour l'info et la synthèse.
RépondreSupprimerLe fait de placer l'ONU et ses "filiales" en garant la gouvernance de niveau international me semble être un caillou (une pierre ?) dans le jardin de l'oncle Sam ?
Ce qui pourrait indiquer que l'Europe s'en réfère à une conception plutôt traditionnelle et universaliste (merci la France !) tout en ayant en tête une certaine démarche...stratégique ? (oui, je sais : c'est énorme ! :)
Mais peut-être me trompe-je ?
Bonjour et merci pour le commentaire.
RépondreSupprimerIl y a certainement un petit appel du pied sur l'équilibre nécessaire à la gouvernance. Encore que le COE soit remarquablement prudent sur le sujet et bien moins revendicateur.
Au contraire, et c'est lié au second point, l'approche semble remarquablement équilibrée, pragmatique avec une vision cohérente...Une stratégie oui :) qui semble préférer préserver puis réformer un système qui malgré tout, préserve l'internet et le fait évoluer, à la parfois stérile remise en cause brute au nom de la souveraineté.