Régulièrement, ce blog évoque les aspects de gouvernance de l'Internet et en particulier la difficile transition de l'IPv4 à la version 6.
Parmi les effets évoqués, celle de la création d'un marché de l'adresse IP qui, en officialisant ainsi une pratique, contribue à éviter l'émergence d'un marché noir de l'adresse mais monétise encore une ressource déjà rare et qui devient plus cher. Autrement dit, cela constitue des coûts supplémentaires et donc une barrière financière à l'accès pour les populations les moins aisées et desservies.
Cette période de transition semble ainsi marquée par ce type de pratique : offrir une solution nécessaire mais désagréable afin d'éviter un mal plus grand. C'est en substance le coeur des conflits qui ont opposé les participants de l'IETF à propos de cette phase délicate de transition.
Revenons sur ce conflit qui illustre bien les difficultés rencontrées à la fois par les opérateurs mais aussi par le système de gouvernance. Les organismes de standardisation ont décidé de réserver une portion de l'adressage public à un usage très controversé, portion débutant par 100.64.0.0 et jusqu'à 100.127.255.255.
Pour les moins techniques, rappelons que les adresses IP sont composées de 4 blocs que l'on représente séparés par des points. Par ex. : 1. 2 . 3. 4. Chaque bloc peut prendre toutes les valeurs entre 0 et 255. Autrement dit, la "première" adresse pourrait être 0.0.0.0 tandis que la dernière pourrait être : 255.255.255.255.
Cependant, ces blocs ont été découpés pour les attribuer plus facilement aux opérateurs. On a cependant pris soins de réserver certains blocs ou même certaines adresses. Par exemple, l'adresse 127.0.0.1 représentera toujours une adresse permettant à un ordinateur de se connecter...à lui-même. On l'appelle l'adresse de rebouclage ou loopback.
D'autres adresses comme celles commençant par 192.168 ou 172.16 ou encore 10.0 ont été réservées à la construction de réseaux dits privés, non-nécessairement connectés à Internet ou injoignable directement sur le net. Ce sont ces adresses qui sont utilisées dans vos réseaux domestiques et qui vous permettent d'avoir votre réseau privé à travers votre box.
Revenons à nos IP : pourquoi diable diminuer encore la quantité d'adresse disponible en la réservant à un usage privé ?
J'évoquais ci-dessus les fameuses boites internet disponibles à domicile. Celle-ci dispose d'une adresse publique vers Internet et plusieurs adresses des réseaux privées (cf. ci-dessus) pour vos ordinateurs, tablettes et autres smartphones. Ainsi, jusque-ici, chaque domicile avait une adresse publique et plusieurs adresses privées. Le dispositif de passage de l'un à l'autre est appelé NAT - Network Adress Translation - dont la signification est claire : on "traduit" d'une adresse à une autre, d'un réseau à un autre.
Toutefois, avec la raréfaction des adresses IPv4, il ne devient plus possible d'attribuer une adresse publique à chaque domicile, notamment en Asie, et il devient donc nécessaire de retranscrire ce système de "boite" disposant d'un accès à l'Internet public et des multiples adresses en privé...Ce système de NAT à l'échelle d'un opérateur entier (imaginez l'ensemble des abonnés Free) est appelé CGN pour Carrier Grade Nat.
Cependant, si l'adressage entre vous et votre box se fait sans problème dans les réseaux évoqués plus haut, le nouvel espace de réseau privé entre votre box et le CGN ne disposait pas d'un réseau spécifique. C'est désormais corrigé.
Toutefois, ce faisant, on entérine un concept, le CGN, qui est en fait une "rustine" puisqu'elle ne devait servir à qu'aider à la phase de transition. De plus, ces dispositifs ne conviennent pas du tout à de nombreuses applications sur Internet et notamment certains jeux, le protocole de téléphonie sur IP, le peer-to-peer...
Eh oui, si tous les abonnés de Free n'ont plus qu'une adresse publique appartenant au CGN, comment jouer entre eux en ligne si le jeu utilise l'adresse publique ?
Au final, cet exemple banal révèle toute la difficulté de la phase de transition mais également les problématiques de gouvernance. Celles-ci ont non seulement conduit à une distribution peu adaptée des adresses IP : l'Asie manque d'adresses alors que les premiers arrivés sur Internet en ont parfois trop. Mais elles obligent également à des solutions transitoires inquiétantes en raison de forts retards dans l'évolution vers IPv6.
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